CHAPITRE I
Vol à l’église
Ce fut un choc dans la petite ville. Le printemps cette année-là, avait été particulièrement doux en ce pays de douceur. En cette année 1518 à Amboise, le mois de mai finissant prenait des lan- gueurs de femme se parant pour la fête, ajustant la moindre fleur, le moindre pétale, s’enivrant de tous les parfums de la vie...
Pourtant des drames s’étaient joués, venaient tout juste de se dénouer... Des convoitises s’étaient allumées, avaient été tentées par toute cette splendeur tranquille, cette tendresse, cette dou- ceur. Elles avaient essayé, mais en vain, de les arracher des mains de celui qui en avait la garde : le roi François, monarque fin et raffiné, grand admirateur des arts, des lettres, autant que chef d’état.
Ce roi qui s’était choisi comme ami, Leonard, eh oui, celui-là même dont la réputation de génie universel avait dépassé les frontières de son Italie natale, même si quelques envieux le disaient un peu fou.
Des convoitises s’étaient éveillées, chez un certain Charles, qui était déjà roi d’Espagne, de Sicile, Prince de Hollande, bientôt Empereur d’Allemagne, le fameux Charles V : Charles-Quint, dont le rêve dément était de commander tout le monde chrétien !...
Et jusque là, qui donc l’avait tenu en échec ? Qui l’avait empêché de voler l’arme qui lui aurait permis de vaincre les ennemis de sa tyrannie ? Qui l’avait empêché de s’approprier l’immense trésor avec lequel il aurait pu enrôler des armées ? Qui avait déjoué ses plans pour tuer François 1er, le roi de France ? Bien sûr, Leonard, l’ami du roi, mais aussi, et avec tant de courage : Thoinot et Nicolette, les jeunes protégés de Leonard, qui, avec un demi siècle d’avance, tout comme Romeo et comme Juliette dont ils avaient l’âge, venaient de se fiancer(1).
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(1) Voir : Thoinot et Nicolette sauvent le Roy.
C’était face à une mort qu’ils croyaient inévitable, et avant de mourir, qu’ils avaient décidé de prendre cet engagement, et puis, la mort avait été touchée par leur courage et la pureté de leur cœur, elle était partie sans les frapper.
Tous ces drames, tous ces dangers courus, ces victoires, s’étaient déroulés silencieusement à l’abri des regards, protégés par ce calme, cette douceur...
Aujourd’hui, par ce matin de printemps, la Loire qui s’écoulait dans la tiédeur du matin naissant, n’avait pas encore perdu cette brume ténue des levers de beaux jours, qu’on trouve aussi dans le regard des belles qui s’éveillent.
Dans le silence, çà et là, un cri d’oiseau, une roucoulade, un trille, et puis, la cloche de l’église qui indiquait le service du matin : trois coups tintèrent... et puis, plus rien !... Le message s’était in- terrompu...
Bizarrement, ce silence éveilla plus de monde que ne l’aurait fait la sonnerie... Chacun, après le troisième coup, attendait, et, plus l’attente se prolongeait, plus il devint évident que quelque chose d’anormal se passait...
Ce matin là, Laurent, le sacristain, était venu tout préparer pour le service de l’aube. Il était arrivé en même temps que le curé, et, tandis que celui-ci était parti dans la sacristie, lui, était allé sonner.
D’abord, il avait ôté sa veste, puis, il avait détaché la corde correspondant à la cloche qui servait à annoncer le premier office du matin, une petite cloche, heureusement, pas trop lourde.
Laissant deux minutes la grosse corde pendre devant lui, il avait d’abord craché dans ses deux mains, puis, les avait frottées l’une contre l’autre afin d’en bien répartir l’humidité. Alors, s’assurant sur ses jambes, et d’un geste décidé, il avait empoigné la corde, et avait commencé à la tirer, d’un grand mouvement qui ployait tout le corps depuis les genoux, et le faisait ensuite remonter à la suite des bras...
Le premier coup avait été silencieux, puis, on avait entendu le premier tintement, à la fois clair et puissant. Au deuxième, déjà, le mouvement était assuré, et il n’y avait plus qu’à l’entretenir, comme on pousse une balançoire...
C’est alors que le curé était revenu en courant, et, tout agité, avait crié à Laurent :
– On a volé le grand ciboire(2) !...
Du coup, Laurent, arrêtant son geste, avait presque été renversé par la corde qui, elle, continuait seule son mouvement, mais maintenant, de moins en moins haut.
Il se précipita à la rencontre du curé, et tous deux retournèrent à la sacristie, afin de voir ce que leur entendement refusait encore : plus de ciboire, cet espèce de vase sur pied, au couvercle en forme de cloche, l’une des richesses de leur église : tout en or, incrusté de pierres, datant de plus d’un siècle, et dans lequel on entreposait le pain de la messe : les hosties.
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(2) Ciboire : objet du culte chez les catholiques, sorte de calice (vase sacré, en forme de grand verre à pied en métal précieux), mais avec un couvercle.
Dans le petit placard, bien rangés à leur place habituelle, il y avait bien les deux calices, et puis, le petit ciboire, celui de tous les jours, et puis, quelques pots, quelques babioles, les burettes en cristal, une bouteille entamée de vin de messe, quelques chandelles, mais, plus de grand ciboire !... celui des cérémonies... à cet endroit, une place vide qui semblait éclater là comme un blasphème.
Tous deux restaient sans voix, atterrés. Le premier à parler, ce fut Laurent :
– Pourtant, je crois bien qu’il était là hier soir, quand j’ai rangé le petit calice... ou plutôt, je suis sûr que j’aurais vu s’il n’avait pas été là !...
– Il faut avertir l’évêque, et puis le juge... dit enfin le curé, et, après avoir refermé le placard sur ce qui restait et ôté la clef, ils sortirent.
Entre temps, la rumeur courut, se faufila à travers la ville, s’enfla... Elle arriva à Cloux avec la brave Martine qui l’avait eue de première main par son mari, car c’était lui, Laurent, c’était lui, le sacristain...
(Illustration : Calice de la Renaissance)
Leonard n’était pas là, et, ni Thoinot ni Nicolette ne prêtèrent une grande attention à la nouvelle : un vol, évidemment, c’était grave, mais, on retrouverait les voleurs, on récupérerait tôt ou tard le ciboire, les voleurs eux, iraient en prison, et puis, tout rentrerait dans l’ordre... Il n’y avait pas là grand-chose qui les passionnât...
Ils avaient des choses autrement plus intéressantes à se dire, par exemple concernant cet amour qu’ils s’étaient promis l’un à l’autre, et puis, cette terre que le roi leur avait donnée, où ils iraient vivre, quand ils jugeraient le moment venu de se marier.
Ils n’avaient pas encore été voir cette maison qui serait la leur, mais ils l’imaginaient, ils en parlaient... Il faut dire à leur décharge que tout s’était déroulé si vite, tout était si proche encore, à peine plus d’une semaine !... alors, vous pouvez bien comprendre n’est-ce pas, qu’ils restent un peu à planer sur leur petit nuage !
Très vite, le juge arriva sur les lieux du vol, et il commença son enquête. Il rencontra d’abord le curé qui était encore tout agité.
C’était un brave homme de curé, tout en rondeurs : ventre rond, taille ronde, crâne rond, marqué de la tonsure, elle aussi en rond, bien sûr. Les yeux affectaient aussi, bien souvent cette forme ronde, comme sous l’effet d’un perpétuel étonnement.
Il respirait la bonté, cette sainteté des saints qui aiment la vie sans en abuser, rendant grâce chaque jour pour les richesses qu’ils y trouvent et dont ils veulent faire profiter les autres.
Il était arrivé à l’église le matin, en même temps que son sacristain...
– Vous étiez venus ensemble ?
– Non, mais nous nous sommes rencontrés à quelques pas de la porte de l’église, simplement parce que nous devions tous les deux venir à ce moment là pour la messe de l’aube. Alors, nous sommes entrés...
– Est-ce que la porte était fermée à clef ?
– Oui, bien sûr, c’est le matin qu’on l’ouvre pour la messe...
– Qui est-ce qui l’ouvre ?
– Ça dépend des fois, le premier arrivé : ou Laurent ou moi-même, nous avons chacun notre clef.
– Et cette fois, qui l’a ouverte ?
– Je crois que c’est Laurent.
– Ensuite, que s’est-il passé ?
– Et bien, nous sommes entrés, et je suis allé à la sacristie afin de me préparer pour la messe...
– Êtes-vous sûr qu’il n’y avait personne dans l’église lorsque vous êtes entrés, n’avez-vous vu personne, ou entendu personne, ou entrevu, ou bien entendu des bruits suspects ?
– Non, je n’ai rien remarqué de tel...
– Bien, continuez, je vous prie.
– Alors, je suis allé dans la sacristie, et j’ai vu le ciboire...
– Vous l’avez vu ?
– Non, je veux dire... j’ai vu qu’il n’était pas là...
– Vous avez vu qu’il n’était pas là, juste en entrant ?
– Non non, j’ai d’abord accroché ma pelisse au porte-manteau, et mon chapeau, et puis, je suis allé à l’armoire... non, plutôt, j’ai d’abord posé mon bréviaire, et puis, je suis allé à la petite armoi- re que vous voyez là...
Au cours de cet interrogatoire, ils avaient suivi tout le chemin, et étaient arrivés à la sacristie...
– Alors, je l’ai ouverte pour prendre le calice, le plus petit des deux, celui-ci, celui de tous les jours, et c’est à ce moment que j’ai remarqué l’espace vide à l’endroit où aurait du se trouver le grand ciboire...
Mon cœur n’a fait qu’un saut, monsieur le juge, j’en suis resté figé, sans pouvoir même bouger, et puis je suis vite sorti pour appeler Laurent, qui sonnait les cloches...
– Bien monsieur le curé, je vous remercie infiniment pour tous ces renseignements, pouvez-vous encore répondre à une question ? Quand avez-vous vu le ciboire pour la dernière fois ?
– Et bien, hier matin, à l’heure de la messe.
– Vous êtes bien sûr de l’avoir vu ?
– Mhh... oui, oui, j’en suis sûr, car je me souviens que j’ai même dû le pousser pour rattraper une chandelle qui avait roulé derrière lui...
Et puis, non, je m’en souviens, maintenant, ce n’est pas la dernière fois que je l’ai vu, car en cherchant la chandelle, j’ai réalisé qu’il n’en restait qu’un petit bout, et donc, l’après-midi, je suis repassé avec deux ou trois chandelles neuves, et là, je me souviens de l’avoir vu, car, un rayon de soleil qui se reflétait par la fenêtre dans un miroir, faisait scintiller les pierres du ciboire, et je suis resté quelques secondes à l’admirer...
– Quelle heure était-il à peu près ?
– Oh, il devait être trois heures, j’avais déjeuné, et puis fait une petite sieste dans le jardin du presbytère, puis, j’avais lu mon bréviaire durant une petite heure, avant de venir à l’église.
– Et bien, monsieur le curé, je vous remercie. Pourrais-je maintenant voir votre sacristain ?
– Oui, monsieur le juge, je vais l’appeler, il doit être dans le cimetière à arracher les mauvaises herbes... et il sortit.
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Aperçu du volume 3