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Jean-Claude Féret

CHAPITRE I

La mort de l’ivrogne sobre

– Oh Seigneur Dieu, Sainte vierge Marie, doux Jésus !

Dame Jehanne, la concierge, après avoir à tâtons, traversé la chambre encore plongée dans l’ombre, venait d’ouvrir les épais doubles rideaux, puis la fenêtre et les volets. Il était dix heures, le matin.

L’air et la lumière pénétrant à flots dans la pièce, elle s’était retournée et avait d’un seul regard embrassé l’affligeant spectacle qui s’offrait à ses yeux : son hôte, le très respectable monsieur de Villeneuve, capitaine de la garde personnelle de sa majesté, le Roy François, premier du nom, était affalé, non, le mot n’était pas trop fort !

Il gisait au centre, ou plutôt au sommet d’un amoncellement de bouteilles vides, qui laissaient augurer de la cause de son immobilité...

Et puis, cette odeur de vieille cave ou de tripot(1), qui, dès l’entrée agressait les narines !...

– Comment c’est-y Dieu possible ?... Un si digne monsieur !... La brave dame, à présent se dirigeait vers l’ivrogne, navigant parmi les bouteilles, et se mit en devoir de réveiller son locataire, mais ce furent là bien d’autres cris encore, car le digne homme s’était endormi pour beaucoup plus longtemps que la bonne femme n’aurait pu attendre ! Il était mort, et les cris de la commère, par la fenêtre restée ouverte, alertèrent les voisins, curieux de voir ce qui s’était passé.

– Il faut avertir au château, dit quelqu’un, et, aussitôt, on envoya un jeune garçon, qui partit en courant annoncer la nouvelle.

Il fut tout de suite introduit dans le château mais, comme d’habitude c’était au chef des gardes de résoudre de tels problèmes, et qu’évidemment, le pauvre était à présent hors d’état de s’en occuper lui-même, à tout hasard, on alla finalement avertir le roi, qui demanda à voir ce garçon.

 

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(1) Tripot : lieu plus ou moins mal famé, où l’on buvait, s’enivrait, jouait, et où souvent on perdait aussi la vie au cours de bagarres.

 

François était justement en train de discuter avec son ami Leonard de Vinci, des problèmes qu’il sentait s’amonceler autour de la France, principalement, à propos de ce Bourguignon d’origine, rusé, gonflé d’ambitions, ne reculant devant rien pour assouvir son désir de pouvoir.

Il s’inquiétait de ce Charles, qui avait d’abord hérité du petit Royaume de Sicile, puis, l’année dernière, avait encore récupéré le Royaume d’Espagne, était devenu aussi prince des Pays-Bas, et qui, semblait-il, briguait aussi l’Allemagne et l’Italie...

Toutes ces choses mettaient la France en fâcheuse posture, sinon en réel danger si cela se réalisait, puisqu’alors, elle serait entièrement encerclée par un ennemi qui n’hésiterait certainement pas à refermer ses mâchoires pour ensuite la digérer tranquillement.

C’était donc dans cet état d’esprit inquiet que fut introduit le jeune garçon : une nouvelle qui touchait un peu les deux hommes, car, l’un comme l’autre respectaient ce de Villeneuve, un homme de cœur qui était arrivé à sa position, sans ruse ni flatterie, seulement par son honnêteté, sa droiture, et son courage.

Le jeune garçon raconta ce qu’il avait vu, et ce qu’on lui avait dit : cet homme dans la force de l’âge, ivre mort sur un tas de bouteilles. Les deux hommes se regardaient, l’air interrogatif :

– Ce de Villeneuve était pourtant, je crois, d’une sobriété exemplaire, dit le roi...

– Sire, bien plus encore, répondit Leonard, il ne buvait jamais la moindre goutte d’alcool, pas même un verre de vin en mangeant !... Je le connaissais quelque peu, il était de commerce agréable(2), et il m’est arrivé de le taquiner parfois en le traitant de buveur d’eau !... Sire, puis-je aller jeter un coup d’œil là-bas ? tout ceci semble louche, et je voudrais en avoir le cœur net.

– Bien sûr, mon ami, nul ne saurait mieux que toi discerner la vérité. Je n’aurais pas voulu te charger d’une telle tâche, mais, si toi-même te proposes pour la remplir, j’en suis fort aise, et te donne toute liberté. Prends deux gardes avec toi pour t’aider si nécessaire.

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2 De commerce agréable: se dit d’une personne avec qui les rela- tions sont à la fois faciles et agréables.

 

Leonard prit congé, et, accompagné des deux gardes, se mit en mesure de suivre le gamin.

Dame Jehanne les reçut. Devant les trois hommes, elle se sentait un peu intimidée, comme si, venue du château, quelque peu de la présence du Roi était entrée dans sa demeure. Elle parlait plus bas, à présent, presque comme dans une église, et menait Leonard et les gardes dans la chambre de Monsieur de Villeneuve.

Elle avait amené dans la pièce, un grand sac et un balai pour faire le ménage, mais n’avait pas encore commencé, ayant seulement eu le temps d’aller passer une grande blouse noire qu’elle trou- vait plus indiquée pour faire son travail en présence du mort, et puis aussi de parler encore et encore de tout cela avec les voisins... et les voisins des voisins... Tout était donc resté tel qu’elle l’avait découvert.

Le capitaine des gardes gisait toujours sur son amoncellement de bouteilles, vêtu d’une longue robe de chambre. Leonard s’approcha, il prit la main du mort, et vérifia sa rigidité : la rigor mortis(3), sachant par là que la mort ne venait pas de se produire... puis, il se pencha un peu et renifla en fronçant le nez... effectivement, c’était une puissante odeur d’eau de vie qui s’élevait du mort.

Il prit une bouteille vide sur la pile... pour être vide elle était vide !... pas la moindre goutte à l’intérieur, il renifla, pas la moindre odeur non plus. Il essaya une autre bouteille : même chose. Il en trouva une qui n’était pas tout à fait vide, car, à l’intérieur, elle présentait des traces de terre, et même un minuscule escargot... une bouteille qui certainement avait passé l’hiver dans un jardin, mais qui n’avait plus rien contenu depuis longtemps... qu’est-ce donc que tout cela signifiait ?

Ayant examiné toutes les bouteilles, il en trouva une seule qui présentait des traces d’alcool ! Évidemment, une seule bouteille d’eau-de-« vie », si l’on pouvait vraiment qualifier d’un tel terme son contenu, était suffisante pour tuer quelqu’un, mais, pourquoi cette mise en scène ?

(3) Rigor mortis : rigidité d’un cadavre, qui intervient un peu après la mort.

 

 

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